Le Soudan reste un pays important du continent africain, tant de par sa géographie que de par son histoire antique et moderne. Le Soudan a d’abord vécu sous la Nubie antique, une des premières civilisations africaines, avant d’être conquis par l’Egypte sous le règne du Pharaon Thoutmosis 1er. Le pays est ensuite resté sous l’ombre du voisin nordiste, étant colonie anglo-égyptienne de la fin du XIXe siècle en 1956, année de proclamation de son indépendance est proclamée. Mais rapidement, cette naissance de l’Etat Soudanais, deuxième plus grand pays d’Afrique, devient le point de départ d’une géopolitique compliquée et complexe, autant en interne que dans sa sous-région. Entre guerres civiles, terrorisme et enjeu de la gestion de l’eau du Nil, l’histoire moderne du Soudan est une des plus complexes et mérite un focus. Cet article expose brièvement les conflits qui ont affecté et maintenu le Soudan dans une situation politico-économique instable.
La guerre civile : de 1956 à la naissance du Sud-Soudan
Après l’indépendance en 1956, le Soudan n’a pas tardé à entamer des décennies d’instabilité. Le pays est d’abord dirigé immédiatement par un pouvoir militaire qui revient sur ses promesses d’instaurer un Etat fédéral qui donnerait autant d’autonomie au Nord qu’au Sud. Il faut préciser qu’il y a une forte différence sociologique entre le Nord et le Sud du Soudan, qui rendait difficile la construction d’un Etat-nation. La décision du pouvoir central, installé à Khartoum, mit la poudre au feu et installa une guerre civile entre les deux entités géographiques. Le conflit s’estompe en 1972 avec la signature de l’accord de 1972 à Addis-Abeba. Mais venu au pouvoir en 1969, le colonel Gaafar Muhammad Nimeiri avait pris des décisions qui ont fini de réinstaller le pays dans des conflits plus intenses. D’abord, entre 1980 et 1982, du pétrole est découvert dans le Sud du Soudan, ce qui renforce les enjeux de pouvoir dans le pays. En outre, le colonel Nimeri décide d’étendre le code pénal au droit musulman dont seraient sujets aussi les régions du Sud qui sont majoritairement de confessions chrétienne et animiste. En plus d’instituer la Charia, il déclare aussi son intention de transformer le Soudan en un État arabe musulman et de diviser le Sud en trois régions. “Le conflit s’apparente à une guerre de religion entre le Nord du Soudan (islamique) et le Sud (chrétien), mais c’est aussi un conflit de culture, avec d’un côté les traditionalistes au Sud et la communauté arabo-musulmane au Nord”[1]. S’ouvrent encore ainsi plus de deux décennies de guerre civile entre l’Etat central et particulièrement le groupe rebelle de l’APLS (armée populaire de libération du Soudan) qui ambitionne d’établir un Etat laïc et socialiste au sud du Soudan[2]. Malgré l’arrivée au pouvoir d’Omar al-Bechir en 1989 sur fond de guerre et de crises économique et institutionnelles, le conflit entre le Nord et le Sud ne connut son épilogue qu’en janvier 2005. Les deux camps signent un accord de paix qui prévoit un régime d’autonomie de six ans au Soudan du Sud, à l’issue de laquelle un référendum d’autodétermination est organisé. Le référendum a lieu le 9 janvier 2011. Les votants s’expriment en faveur de l’indépendance du Soudan du Sud à 98,83 %. Le 8 février 2011, Omar El-Bechir reconnaît officiellement ce résultat[3]. Cependant, le conflit entre le Nord et le Sud n’a pas été le seul à plomber le pays.
Entre temps, en 2003 précisément, un autre conflit a vu le jour dans le Darfour, dans l’Ouest du pays. Les découvertes de pétrole dans cette région attisent des revendications indépendantistes. Le conflit armé oppose des rebelles de l’Ouest du pays perçu majoritairement non arabophones, au gouvernement central qui s’est appuyé aussi sur les milices Janjawids[1]. En 2005, avec un bilan de plus de 300 000 morts, le conflit est caractérisé de crime contre l’humanité par l’ONU et le général Omar al-Beshir est alors accusé de guerre et de crime contre l’humanité. Ces conflits identitaires ont eu pour conséquences aussi de porter préjudice à la situation politico-économiques du pays compliqué par des sanctions américaines liées au terrorisme. La dictature d’Omar al-Bechir finit aussi par être fragilisé par une vague de contestation.
Contestation sociale et crises politiques
En plus des guerres civiles, le Soudan n’a pas été épargné par les mouvements de contestation sociale. En 2018, le régime autoritaire d’Omar al-Bechir est affecté par de graves crises économiques qui finissent par le mettre à terre. Le Soudan avait été déjà considérablement impacté par les sanctions américaines qui datent de 1993, après que des liens soient établis entre des groupes terroristes et le régime d’al-Bechir. Les américains avaient ensuite inclus le Soudan dans la liste des Sponsors du Terrorisme et avaient notamment fermé leur ambassade à Khartoum en 1996 avant de rouvrir en 2002. Malgré cela, les sanctions sont restées et la mal gouvernance a aussi fini de mettre le pays dans une situation difficile. En 2018, un plan d’austérité dicté par le Fonds Monétaire International contraint l’Etat à privatiser certains secteurs des importations. Ce qui crée une hausse des prix, dont celui du pain de 30% et un taux d’inflation atteignant 40%[2]. Par la suite, un gros mouvement de contestation s’empare du pays, sous la houlette des étudiants et du Parti communiste soudanais, aboutissant à la destitution d’Omar al-Bechir dont le régime est remplacé par un conseil de souveraineté composé de militaires et de civils en août 2019, avec à sa tête le Général Abdel Fattah al-Burhan. Abdallah Hamdok, ancien économiste à l’ONU, est nommé Premier ministre à la tête du gouvernement de transition. Cependant, les manifestations ont continué, appelant au départ des militaires et l’institution d’un régime totalement civil. Dans la foulée, le général Al-Burhan fait un putsch en octobre 2021 et écarte le premier ministre, visage civil du conseil de souveraineté. Même si celui-ci revient aux affaires, il démissionnait encore en janvier 2022 après la répression meurtrière de manifestations. Aujourd’hui, les militaires sont encore seuls au pouvoir face au peuple qui réclame encore leur départ. Ce qui maintient le Soudan dans une situation d’instabilité politique et institutionnelle.
Un bassin géopolitique complexe : l’enjeu de l’eau
Le Soudan tient son importance de son emplacement géostratégique qui est aussi un couteau à double tranchant. Le pays partage ses frontières avec l’Egypte et la Libye au nord, le Tchad et la République Centrafricaine à l’Ouest, désormais le Soudan du Sud au sud, l’Ethiopie et l’Erythrée à l’est, avec une ouverture sur la Mer Rouge. Le Soudan baigne ainsi dans une région géopolitiquement instable avec les conséquences de la guerre dans le Tigré, l’instabilité politique en Libye, la lutte contre les terroristes d’Al-Shabab en Somalie et conflit religieux en Centrafrique. Mais en plus de ces troubles, le Soudan est fortement préoccupé par l’eau, enjeu géopolitique majeur dans la zone. Le Nil est capital pour l’accès à l’eau pour les trois pays que sont le Soudan, l’Egypte et l’Ethiopie. Depuis quelques années, l’Ethiopie a lancé la construction du Barrage de la Renaissance afin de répondre à ses besoins en électricité. Un projet qui irrite fortement ses voisins. L’Egypte considère la question de l’eau comme une question de “sécurité nationale” puisqu’il tire 95% de sa consommation en provenance du Nil. Ce conflit tire son origine notamment des accords de 1959. Après l’indépendance, le Soudan avait demandé la renégociation du partage de l’eau avec l’Egypte, qui en avait la plus grande partie conformément aux accords de 1929[1]. Cependant, alors que les deux pays avaient trouvé un accord, les pays voisins et notamment l’Ethiopie n’avaient pas été impliqués dans ces pourparlers. L’histoire rattrape ainsi tout le monde avec l’ambition des uns impactant la quiétude des autres.
En somme, le Soudan souffre d’une géostratégie intéressante mais complexifiée par des enjeux géopolitiques internes et externes qui rendent le pays instable et vulnérable.
Bouguerra, Larbi. “L’eau, enjeu géopolitique et national majeur au Soudan - Irénées.” Accessed February 28, 2023. https://www.irenees.net/bdf_fiche-documentation-436_fr.html.
Middle East Institute. “US Priorities in Sudan: Stability or Democracy?” Accessed February 27, 2023. https://www.mei.edu/publications/us-priorities-sudan-stability-or-democracy.
Roussel, Louise. “Soudan : une ‘géopolitique du malheur’ (Patrice Gourdin).” Major-Prépa (blog), October 20, 2020. https://major-prepa.com/geopolitique/sud-soudan-geopolitique-malheur/.
Tubiana, Jérôme. “Le Darfour, un conflit identitaire ?” Afrique contemporaine 214, no. 2 (2005): 165–206. https://doi.org/10.3917/afco.214.0165.
Wrobel, Marie. “Tout comprendre sur la crise au Soudan.” Le Drenche (blog), January 14, 2022. https://ledrenche.ouest-france.fr/quest-ce-qui-se-passe-au-soudan/.
[1] Larbi Bouguerra, “L’eau, enjeu géopolitique et national majeur au Soudan - Irénées,” accessed February 28, 2023, https://www.irenees.net/bdf_fiche-documentation-436_fr.html.
[1] Jérôme Tubiana, “Le Darfour, un conflit identitaire ?,” Afrique contemporaine 214, no. 2 (2005): 165–206, https://doi.org/10.3917/afco.214.0165. [2] Wrobel, “Tout comprendre sur la crise au Soudan.” [1] Marie Wrobel, “Tout comprendre sur la crise au Soudan,” Le Drenche (blog), January 14, 2022, https://ledrenche.ouest-france.fr/quest-ce-qui-se-passe-au-soudan/. [2] Louise Roussel, “Soudan : une ‘géopolitique du malheur’ (Patrice Gourdin),” Major-Prépa (blog), October 20, 2020, https://major-prepa.com/geopolitique/sud-soudan-geopolitique-malheur/. [3] Wrobel, “Tout comprendre sur la crise au Soudan.”
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