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Le Sénégal a-t-il abandonné la Palestine?

Les bombardements israéliens sur la Bande de Gaza sont quotidiens depuis le 7 octobre, date à laquelle, le Hamas a lancé l’opération “Deluge d’Al-Aqsa”, en représailles aux attaques de l’occupation sur la Palestine et sur la Mosquée d’Al-Aqsa. A ce jour, plus de 10 000 palestiniens ont péri sous plus 12 000 tonnes de bombes lancées par Israël sur Gaza. En Afrique, face à ce conflit historique, les réactions sont de plus en plus mitigées alors que le continent a toujours montré un soutien sans faille à la Palestine. Le Sénégal, qui dirige pourtant le Comité pour l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien depuis 1975, a lui aussi une position moins claire sur Israël depuis l’avènement de Macky Sall au pouvoir. La diplomatie sénégalaise a presque tendance à renvoyer dos à dos de plus en plus les acteurs de ce conflit, comme en témoigne son communiqué sur ce massacre depuis octobre : “le gouvernement de la République du Sénégal condamne les attaques à l’origine de cette nouvelle spirale de la violence et appelle les parties à la retenue”, pouvait-on lire. Pourtant, historiquement, le Sénégal a toujours été l’allié de poids de la Palestine. Cette nouvelle position des autorités sénégalaises est surtout contraire à celle de la population qui voue un soutien sans faille à la Palestine.



Sénégal: allié historique de la Palestine

Pays musulman à 95%, le Sénégal a toujours été foncièrement propalestinien, du moins du premier président Leopold Sédar Senghor (pourtant de confession catholique) à Abdoulaye Wade, en passant par Abdou Diouf. Le soutien à la Palestine a toujours été d’ordre idéologique, basé sur la tradition légaliste du Sénégal ainsi que sa lutte pour le droit à l’autodétermination et au respect du Droit International. Les deux pays ont aussi comme dénominateur commun l’Islam et les guides religieux sénégalais ont toujours eu aussi une relation étroite avec la Palestine. L’ambassadeur palestinien à Dakar rappelait dans une interview avec BBC, les liens historiques des confréries Tidiane au Sénégal avec son pays. "Il y a plus de 200 ans, Elhadji Oumar Foutiyou Tall est passé par la Palestine en route pour le Pèlerinage. Le lien entre les deux peuples est bien antérieur à l'indépendance du Sénégal" explique-t-il d’abord avant de mentionner aussi Mawlana Cheikh Ibrahim Niass, figure incontournable du Tidianiya au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. "Cheikh Al Islam Cheikh Ibrahim Niasse avait visité la Palestine en 1954 et avait noué des liens institutionnels avec le grand mufti de la Palestine Haj Amine el Husseini qui lui avait demandé de guider la prière à la mosquée Al Qods", rappelle Sawat Ibraghith.


Le soutien politique du Sénégal à la Palestine a été marquant durant les années Senghor et Abdou Diouf. Le Président Senghor a été le premier dirigeant d’Afrique Subsaharienne à recevoir en visite officielle Yasser Arafat, l’ancien dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Il avait surtout offert au dirigeant révolutionnaire un passeport diplomatique sénégalais, comme l’a confirmé l’ambassadeur M. Ibraghith : "Le président Senghor a placé les relations palestino-sénégalaises sous le sceau de la solidarité en attribuant à Arafat et ses proches un passeport diplomatique sénégalais pour faciliter ses mouvements en Afrique et ailleurs alors qu'il était traqué avec ses compagnons par les ennemis de la Palestine". Pour couronner le tout, le Sénégal avait accepté dès 1975 de présider le Comité pour l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien.


Sous Abdou Diouf aussi, cette tradition d’une politique étrangère propalestinienne a été respectée. Le Sénégal a été parmi les premiers pays à reconnaître en 1989, l’Etat de la Palestine, proclamé le 13 décembre 1988 par Yasser Arafat. Aboulaye Wade lui s’était surtout donné comme mission de “réconcilier la famille palestinienne”. Il voulait aussi encourager le processus de paix à deux Etats en s’appuyant sur ses relations avec toutes les parties impliquées. "Nous avons accueilli ici Mahmoud Abass lors du sommet de l'OCI en 2008. Le président Wade s'est beaucoup investi pour la résolution du conflit. Il entretenait de bonnes relations avec les Palestiniens. Il avait aussi de bonnes relations avec la Communauté mondiale juive. Il a aussi réussi à nouer des relations d'amitié avec le président américain Georges Bush Jr. Tout cela c'était dans le but de résoudre le conflit", a indiqué Habib Sy, ancien Ministre d’Etat et directeur de cabinet du président Wade.

Sous Macky Sall, une position d’équilibriste est désormais de plus en plus adoptée.

 

Sénégal sous Sall : rupture d’une tradition propalestinienne?

Pourtant, en 2016, le Sénégal avait parrainé avec la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et le Venezuela, la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens. L’abstinence des Etats-Unis avait permis de faire passer cette résolution. Israël avait par la suite rappelé son ambassadeur de Dakar, avant que les relations ne redeviennent normales un an plus tard entre les deux pays. Ensuite, la diplomatie sénégalaise sous Macky Sall a enchaîné les gestes contraires à sa position historique propalestinienne.


1 Sidiki Kaba, devant le mur des lamentations en mars 2018, alors qu'il était Ministre des Affaires Etrangères


Le 27 mars 2018, Sidiki Kaba, alors Ministre sénégalaise des Affaires Etrangères, s’était rendu à Jérusalem, à la Mosquée d’Al Aqsa, en compagnie des autorités israéliennes d’occupation. Un geste qui avait non seulement irrité une large partie de la population sénégalaise, mais aussi les dirigeants de l’Autorité Palestinienne. Le Ministre palestinien de l’Information avait alors estimé que cette visite était “inacceptable” et qu’elle “est à la fois une violation du consensus de l’OCI et un événement dangereux dans lequel les relations sénégalo-palestiniennes ont été compromises”.


En 2021, la communication du Président Macky Sall sur les événements Sheikh Jarra avait fini de montrer le changement de cap de la diplomatie sénégalaise sur ce conflit. Lors de la fête de l'Aid-El Fitr il a lancé un "appel" aux Israéliens et aux Palestiniens "pour une désescalade, afin que la paix revienne et que les discussions saines et sereines puissent être engagées entre ces deux communautés dans le respect du droit international". Une prise de position équilibriste, sans condamnation, qui rompait avec la tradition sénégalaise sur ce conflit. Pourtant, au même moment, une grosse manifestation avait été organisée à Dakar par la société civile pour exprimer son soutien au peuple palestinien. "Si le président met dos à dos Israéliens et Palestiniens, il y a déphasage entre le peuple et le gouvernement. La manifestation du 21 mai dernier prouve que le peuple sénégalais tient à cette tradition de soutien à la cause palestinienne. Pour des raisons géostratégiques et de sécurité car on sait qu'Israël est un pays phare de l'espionnage et sans doute le Sénégal ne veut pas se mettre à dos une telle puissance", avait notamment analysé Diogoye Faye, directeur de publication d’un média sénégalais.


La coopération sénégalo-israélienne a en effet connu des avancées. Tel-Aviv est devenu beaucoup plus présent au Sénégal et son ingérence politique dans les affaires sénégalaises est même soupçonnée. En février 2023, une enquête de l’organisation Forbidden Stories, regroupant plusieurs médias, avait révélé le travail de la société israélienne “Team Jorge”, formée par des anciens agents du Mossad (espionnage) et du Shin Beth (sécurité intérieur), pour la réélection du Président Macky Sall en 2019, pour un coût de 6 millions d’euros. Selon l’enquête toujours, les activités de “Team Jorge” sont entre autres: fournir des campagnes de dénigrement et de désinformation à la carte, allant du piratage de boîtes e-mails à la diffusion de rumeurs grâce à de faux sites d’information et à des armées d’ « avatars », des profils factices sur les réseaux sociaux.


Ces intérêts nouveaux expliquent sans doute ce ré-équilibrisme de la diplomatie sénégalaise sur le conflit israélo-palestinien. Dernier épisode en date pour cette nouvelle configuration, le communiqué du Ministère sénégalais des Affaires Etrangères au lendemain du 7 octobre et la recrudescence des bombardements de l’Etat sioniste sur Gaza, condamnant “les attaques à l’origine de cette nouvelle spirale de la violence et appelle les parties à la retenue”. Pour le chercheur Bakary Samb, le Sénégal suit sans doute les pays arabes qui ont entonné une normalisation avec Israël et qui leur fait adopter une position moins propalestinienne sur ce conflit. "Ces évolutions dans le monde arabe ont fait que la position du Sénégal est devenue mesurée en s'agrippant à des principes qui n’ont pas changé. S'il y a une variation dans le langage, c’est lié à la variation des positions dans le monde arabe, notamment dans des pays comme l'Arabie saoudite, le Maroc et l’Égypte, des alliés du Sénégal dans la région".


Au Sénégal, ces positions sont notamment critiquées sur les réseaux sociaux. Le peuple sénégalais est largement acquis à la cause palestinienne et ne partage pas les nouvelles positions de la diplomatie sénégalaise. Aujourd’hui, le Président Makcy Sall a semé une rupture avec la tradition sénégalaise sur ce conflit. Même si le récent communiqué continue de plaider pour une solution à deux Etats telle que prévue par les Nations Unies depuis 1948, le Sénégal semble s’être résolu à ne plus prioriser la cause palestinienne dans sa politique étrangère ...

 

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