La Guerre des Généraux au Soudan : Failles et Défis de la Paix Africaine
- Moussa Hissein Moussa

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Introduction
Le Soudan est plongé depuis avril 2023 dans un conflit opposant l’armée régulière aux Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo dit “Hemedti”. En avril 2025, ces dernières ont créé un gouvernement parallèle, accentuant la fragmentation politique et territoriale du pays. Face à cette crise, l’Architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine et les structures sous-régionales se trouvent mises à l’épreuve pour prévenir l’éclatement de l’État soudanais et restaurer un processus de paix viable. Cette analyse se penche sur les défaillances des mécanismes actuels et propose des pistes pour renforcer la prévention des conflits et la réforme du secteur de la sécurité à l’échelle du continent.
Le Chronologie D’une Guerre Fratricide
Le 15 avril 2023, les Forces de soutien rapide (RSF) ont ouvert les hostilités, attaquant simultanément des positions de l’armée régulière à Khartoum, Khartoum-Nord et à Merowe, dans le Nord du pays. Rapidement, les blindés de l’armée loyaliste, sous l’autorité du général Abdel Fattah al-Burhan, ont riposté pour protéger le palais présidentiel et l’aéroport de la capitale, donnant lieu à des affrontements urbains d’une rare violences.
Cette guerre trouve sa source dans la révolution soudanaise de décembre 2018 : des manifestations massives ont éclaté contre trois décennies d’autoritarisme d’Omar el-Béchir, exacerbées par une grave crise économique et des répressions sanglantes. En avril 2019, l’armée — incluant déjà les éléments de la RSF — a renversé el-Béchir, ouvrant une brève parenthèse d’espoir démocratique.
En août 2019, sous la pression de l’Union africaine et de l’Éthiopie, un Conseil de souveraineté mixte, associant civils et militaires, a été installé ; il devait conduire à des élections en 2023. Mais les pourparlers ont vite achoppé sur l’intégration de la RSF dans l’armée régulière, les uns souhaitant un calendrier de dix ans, les autres un délai de deux ans, et sur le rang futur des officiers de la RSF dans la hiérarchie.
Le 25 octobre 2021, le général al-Burhan et son adjoint Mohamed Hamdan Dagalo, dit "Hemedti", ont écarté les civils de toutes les institutions, transformant le Conseil en une junte militaire. Les divisions se sont alors accentuées, les alliances tactiques se dessinant selon des logiques régionales et tribales, tandis que la fracture entre SAF et RSF devenait irréversible.
Au fil des semaines et des mois, « Hemedti » a renforcé son emprise sur le Darfour, mettant en place une administration locale parallèle. Puis, le 15 avril 2025, la RSF, sous sa houlette, a annoncé la création d’un gouvernement rival, en s’appuyant sur une coalition de partis politiques et de groupes rebelles, visant explicitement à concurrencer l’autorité de Khartoum et à légitimer son pouvoir aux yeux de la communauté internationale.
Derrière le déclenchement des combats en avril 2023 se cache un désaccord profond sur l’intégration des Forces de soutien rapide dans l’armée nationale. En réalité, ce bras de fer reflète une rivalité de longue date entre deux hommes qui se disputent le contrôle total du pays et de ses ressources.
Chacun s’appuie sur des alliances extérieures. L’armée régulière reçoit le soutien de l’Égypte, tandis que les Forces de soutien rapide bénéficient d’un appui militaire et financier des Émirats arabes unis. Sur le terrain, la guerre a connu un tournant majeur. Après plus d’un an d’affrontements intenses dans la capitale, l’armée a repris le contrôle de Khartoum, y compris de sites sensibles comme l’aéroport, le palais présidentiel et plusieurs quartiers clés.
Les forces de Hemedti se sont repliées vers l’ouest, renforçant leur présence au Darfour et dans certaines zones frontalières. Désormais, le conflit se déplace vers des régions périphériques, laissant une capitale meurtrie.
À El-Facher, capitale du Darfour-Nord, une résistance farouche s’organise. Contrairement à d’autres villes tombées sous le contrôle des Forces de soutien rapide, El-Facher reste tenue par une coalition de forces locales alliées à l’armée régulière. Les combats y sont particulièrement violents. La ville est aujourd’hui l’un des derniers bastions opposés à l’avancée de Hemedti dans l’ouest du pays.

Gouvernement Parallèle FSR ou la Fracture Soudanaise
L’alliance Tasis a annoncé la formation d’un conseil de gouvernance. Cette coalition de groupes armés, de partis politiques et d’organisations de la société civile, alliés des paramilitaires des Forces de soutien rapide, avait été lancée en février à Nairobi, au Kenya. Son objectif : former un gouvernement parallèle à celui de Port-Soudan, où s’est installée l’armée régulière depuis le début de la guerre, il y a deux ans. Avec cette alliance, les paramilitaires du général Hemedti tentent de gagner du terrain sur le plan politique face à son rival, le général Abdel Fattah al-Burhan.
L’annonce a été faite en grandes pompes à Nyala, capitale de l’État du Darfour du Sud. Le conseil de gouvernance de l’alliance Tasis est composé de 31 membres. Sans surprise, le général Mohamed Hamdam Daglo, alias Hemedti, en a été nommé président, précise RFI.
Son vice-président est Abdel Aziz Adam al-Hilu, chef du Mouvement de libération du Soudan-Nord (SPLM-N), un groupe armé des États du Nil Bleu et du Kordofan du Sud. Longtemps, le SPLM-N a combattu le gouvernement de Khartoum et ses milices janjawid, dont sont issues les Forces de soutien rapide (FSR).
Rallier le SPLM-N est un accomplissement majeur, affirme Hasbelnabi Mahmoud, président du Mouvement de libération du Soudan et membre de la direction de Tasis. Le général Hemedti a exprimé des positions claires sur la nécessité de fonder un État laïc et démocratique pour tous les Soudanais, sans discrimination de couleur.

Un Bilan Humain Catastrophique
Le bilan humain demeure inégalé dans l’histoire récente : près de 40 000 personnes ont perdu la vie depuis l’ouverture des hostilités en avril 2023, selon la Cour pénale internationale, tandis que l’ACLED a dénombré 29 683 décès directement imputables aux affrontements jusqu’à fin décembre 2024.
La crise de déplacement est devenue la plus vaste jamais enregistrée en Afrique : à la date du 7 juillet 2025, l’UNHCR recense 12 050 587 personnes déplacées à l’intérieur du pays et 4 051 185 réfugiés et demandeurs d’asile ayant fui vers les pays voisins, soit plus de 16 millions d’individus forcés de quitter leur foyer.
La capitale, Khartoum, est aujourd’hui à l’abandon : près de la moitié des hôpitaux de l’État ont été endommagés entre le 15 avril 2023 et le 26 août 2024, privant la population d’une partie considérable de ses capacités sanitaires.
Parallèlement, l’effondrement des services de base a favorisé la résurgence de maladies : plus de 83 000 cas suspects de choléra et 2 100 décès y ont été recensés depuis le début de 2025, selon OCHA. Malgré les appels pressants de l’ONU à un cessez-le-feu immédiat et les multiples résolutions du Conseil de sécurité, aucune trêve durable ne s’est imposée tant que les intérêts militaires continueront de primer sur l’avenir du peuple soudanais.
Soudan : Failles et Défis de la Paix Africaine
L’importance d’un cadre institutionnel solide est reconnue : l’Afrique s’est dotée, sous l’égide de l’Union africaine, d’une Architecture de paix et de sécurité (APSA) destinée à prévenir, gérer et résoudre les crises. Le Protocole de 2002 sur la création du Conseil de paix et de sécurité confie à la Commission de l’UA, au Panel des sages et à la Force en attente africaine le mandat de coordonner les actions de terrain. Parallèlement, les organisations sous-régionales – IGAD en Afrique de l’Est, CEDEAO en Afrique de l’Ouest et CEEAC en Afrique centrale – exercent des rôles complémentaires en matière de médiation, de maintien de la paix et d’application de sanctions ciblées.
Face aux tensions naissantes, les États africains ont institué des systèmes d’alerte précoce reposant sur la collecte et l’analyse d’informations à l’échelle locale. Les dispositifs de diplomatie préventive comprennent l’envoi d’émissaires et l’organisation de tables-rondes associant acteurs étatiques et non étatiques, souvent facilités par l’UA ou par les organes régionaux. En cas de blocage, des sanctions graduelles – telles que des embargos, le gel d’avoirs et des interdictions de voyager – servent à faire pression et encourager le retour à la négociation.
Le conflit soudanais expose toutefois les limites de ces mécanismes. L’éviction des civils lors du coup d’État d’octobre 2021, qui a transformé le Conseil de souveraineté en une junte militaire, traduit la politisation des institutions de transition. L’absence d’intégration des Forces de soutien rapide dans l’armée régulière révèle l’échec du processus de réforme du secteur de la sécurité (RSS), pourtant au cœur de l’APSA. Par ailleurs, le manque de cohérence et de moyens d’IGAD après la scission entre généraux a entraîné un effondrement de la médiation sous-régionale, tandis que l’émergence, en avril 2025, d’un gouvernement parallèle a accentué la fragmentation territoriale et institutionnelle.

Conclusion
Pour renforcer l’efficacité des dispositifs, il conviendrait de mettre en place un cadre contraignant pour l’unification des forces armées rivales, assorti d’un calendrier précis et d’une supervision internationale indépendante. Le financement durable des centres régionaux d’alerte précoce, dotés d’analystes autonomes et d’outils de collecte satellitaire ou communautaire, apparaît également indispensable. Les sanctions pourraient être automatisées selon des seuils de non-respect des accords, garantissant ainsi leur crédibilité. Enfin, l’inclusion systématique de la société civile, des organisations de femmes et de jeunes au sein des processus de paix renforcerait la légitimité des accords au-delà des seules élites militaires et politiques.
La paix durable en Afrique repose sur une coordination opérationnelle entre l’APSA et les structures sous-régionales, sur la consolidation de la réforme des secteurs de la sécurité et sur l’intégration de toutes les composantes de la société dans la médiation. Ce triple impératif constitue la condition sine qua non pour prévenir la militarisation des crises et promouvoir une stabilité authentique sur le continent.
Références
Armed Conflict Location & Event Data Project. (2025). Conflict Watchlist 2025: Sudan. ACLED. Consulté le 11 juillet 2025, sur https://acleddata.com/conflict-watchlist-2025/sudan
United Nations High Commissioner for Refugees. (2025). Sudan emergency. UNHCR Data Portal. Consulté le 11 juillet 2025, sur https://data.unhcr.org/en/situations/sudansituation
United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. (2025, 3 juillet). Cholera outbreak escalates as Sudan health system crumbles. ReliefWeb. Consulté le 11 juillet 2025, sur https://www.dabangasudan.org/en/all-news/article/ocha-cholera-outbreak-escalates-as-sudan-health-system-crumbles
United Nations Security Council. (2024, 8 mars). Adopting resolution 2724 (2024), Security Council calls for ceasefire in Sudan during Ramadan [Press release SC/15615]. UN Press. Consulté le 11 juillet 2025, sur https://press.un.org/en/2024/sc15615.doc.htm










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